Troisième histoire: Quand Priscilla va à la rencontre de l'enfant ciment
Je décroche mon téléphone, je compose son numéro: c'est l'heure de notre coaching
Au fil des séances qui s'écoulent, Priscilla se reconnecte peu à peu à ses émotions. Cela la surprend encore d'être tellement triste certains jours, de pleurer certains autres. Quelquefois, elle sent poindre une colère....Elle ne comprend pas encore ce qui lui arrive. Elle doit faire connaissance avec elle même, avec cette nouvelle personne qu'elle est en train de devenir. Tout est à reconstruire.
Un autre grand chamboulement va survenir dans cette séance. Une séance toute particulière dont je savais qu'elle aurait lieu. A quel moment?
Ca je l'ignorais. C'est Priscilla qui allait me donner le tempo.
L'enfant ciment
- C'est pas un hasard si je me suis pris un bus.
- Tu veux dire que ce bus te guettait?
- Eclat de rire de Priscilla! C'est plutôt moi qui ne l'ai pas vu, mais on se guettait, on peut dire ça comme ça.
- Oui, et vous vous êtes trouvés...
- Oui.
- Silence (je laisse le temps s'étirer)
- Il faut quand même tellement peu s'aimer pour en arriver là! Tu imagines la violence de ce sentiment....
- Tu veux dire qu'il fallait que tu te prennes le mur ?
- Oui, c'est tout à fait ça. Je ne pouvais plus continuer comme ça...
- Un mur, ça passe ou ça casse...Finalement tu t'en es sortie.
- Oui, il s'en est fallu de peu, mais je suis là parce que je l'ai décidé. Lorsque j'étais dans le coma, j'ai "vu" ma soeur comme dans un rêve et je me suis dit que je devais revenir. Et je suis revenue.
- Est-ce que ta vie a pris un nouveau sens, malgré toutes tes douleurs et ta rééducation?
- En quelque sorte oui, puisque je dois réapprendre à vivre. C'est sûr que ma vie est diamétralement différente.
- Et où en es-tu de cette violence à ton égard? de ce sentiment de si peu d'amour pour toi?
- j'en ai pris conscience, c'est déjà différent
- Et qu'est-ce qui t'empêche de t'aimer aujourd'hui?
- Toujours ce sentiment d'être venue au monde comme une erreur.
- Et si tu n'étais pas venue au monde, qu'est-ce que ça aurait changé?
- Ma mère aurait pu divorcer.
- Et qu'est-ce qui l'a poussé à se marier?
- Elle devait épouser un juif, mon père. Elle pensait que si elle ne le faisait pas, son propre père en mourrait de chagrin....
- Ca te parle la notion de loyauté au clan?
- Oui, surtout dans un clan juif, on est prisonnier de toute une histoire, de croyances plus fortes les unes que les autres.
- Et ton père?
- C'était la même chose pour lui....Il a dû épouser ma mère mais en aimait une autre.
- Ils étaient donc prisonniers l'un de l'autre ?
- Oui, et j'ai rien arrangé...J'ai tout gâché, j'ai gâché leur vie
(Je sais que c'est le moment de travailler avec une autre grille de lecture - je vais passer en mode décodage biologique et transgénérationnel)
- L'enfant ciment, est-ce que cela te parle?
- L'enfant ciment, c'est quoi? Oh, j'aime pas trop ce que tu es en train de me dire là...
- Tu veux arrêter?
- Non, ça me plaît pas trop et pourtant je sais que nous devons continuer.
- L'enfant ciment est cet enfant qui vient cimenter un couple.
- Mais ils ne voulaient pas se marier! Ils ne voulaient pas être ensemble!
- Oui, mais ils n'avaient pas le choix. Rappelle-toi, cette loyauté au clan les tenait prisonniers.
- Et qu'est-ce que l'enfant ciment vient faire là?
- Je te fais une proposition, tu prends ou tu prends pas: C'est une solution de survie, une solution de survie archaïque et complètement inconsciente. Ils ne
peuvent pas se séparer, ils sont malheureux...Un enfant viendrait les
souder, les cimenter. C'est le "projet sens" de l'enfant ciment qui retient, qui fixe. Avec un
enfant, ils n'ont plus à divorcer et à casser cette loyauté. Tu les
sauves en quelque sorte...Tu leur apportes une solution, tu viens donner un sens à leur projet qui n'en avait pas...
- Je ne me sens pas bien du tout....
- Est-ce que tu veux t'allonger?
- Mais je suis déjà allongée!
- (Nous éclatons de rire!) Oui là je vois pas de position plus allongée que celle-ci...
- Mais oui je commence à tout comprendre!
- Silence (Je la laisse décoder cette information, si c'est bien la sienne, elle le saura. Elle le sait déjà...)
- Il y a tout qui tourne autour de moi, tout ce à quoi j'ai cru s'effondre. Et je sens une colère qui monte en moi!
- De quelle colère parles-tu?
- Je suis en colère contre ma mère! je pensais l'avoir empêché de vivre alors que j'étais une solution! Oui c'est clair pour moi l'enfant ciment maintenant, et je sens bien que c'est ça. Je ne peux pas l'expliquer, je sais juste que c'est ça...
- Comment tu sais ça?
- Pour une fois, ça n'est pas intellectuel. Je le sens en moi comme une évidence...Dans mon corps. Mais c'est toute ma vie qui prend un sens différent maintenant! Au moins avant je savais pourquoi je vivais.
- Et maintenant?
- Maintenant, je dois m'habituer à être venue au monde pour une bonne raison, et ça me fait tout drôle....
Un deuil à faire, une nouvelle vie qui commence.
Cette séance, Priscilla me dira souvent qu'elle a été la plus importante entre toute. Suivra une période d'errance, de perte totale de ses repères, de joie mêlée à de la tristesse. Si étonnant soit-il, un deuil est à faire: celui de toute sa vie passée, celui du sens même de sa vie. A ce sentiment de fardeau succède l'inconnu que Priscilla va devoir apprivoiser au fil de chaque jour.
Le plus beau cadeau qu'elle s'est accordée ce jour là?
Se pardonner d'avoir montré le bout de son nez....