"Béatrice, vous me faites toujours pleurer" me dit-il étonné...
Je ne savais pas non plus que ce jeune directeur d'une entreprise de 350 salariés viendrait jusqu'à moi pour trouver un espace de liberté. La sienne.
Etat d'alerte! Zone rouge! Il ne comprend pas ce qui lui arrive depuis quelques semaines. A la suite d'une réunion pratiquement comme toutes les autres, il a senti la peur lui bouffer les entrailles, les mots lui échapper pour faire place à un trou noir immense. Il se retrouve seul devant une assemblée, et perd tous ses moyens.
" Qu'est-ce que l'on va penser de moi? Je vais perdre la face ". Ces mots lui martèlent la tête.
Depuis, il est tétanisé par la peur qui ne le quitte plus. Le soir, il en perd l'appétit, la nuit il rumine, et la journée, il est hanté par la prochaine réunion. Une espèce de "bête immonde" régit sa vie et le tourmente. Est-ce que je peux l'aider? Mais vite, c'est urgent!
~~~~
La première séance se déroule au téléphone. Julien n'a pas le temps d'attendre ... La magie des voix et des mots portés opèrent. Le contact se crée. Très vite je l'emmène vers sa famille et son clan. Il résiste un peu, ne fait pas les liens, s'étonne de l'intime dans lequel je l'invite à travailler.
Il a placé la barre très haute et identifie clairement son besoin de perfection. J'évoque des conflits de valeurs et une forte loyauté à son clan. Il lâche usurpateur et se sent soulagé d'un poids.
Rendez-vous est pris pour la semaine suivante...
~~~~
Julien a besoin de retrouver ses moyens lors de ses réunions. Son stress ne le quitte pas. Je l'invite à visualiser sur un écran cette première fois où cette peur s'est emparée de lui. La fameuse réunion où tout a commencé. Il me décrit la scène et se dissocie peu à peu. Il se voit avoir peur, perdre ses moyens. L'angoisse est là dans le ventre, cerveau des émotions. Je lui demande de faire un arrêt sur image.
- Julien est-ce que la scène est en couleur?
- Non, pas vraiment. Tout est beige et je suis très pâle.
- Et si vous êtes bronzé, est-ce que c'est mieux pour vous?
- Ah oui ! Je suis souriant et je retrouve un peu d'aisance.
- Bien, et à présent, en rajoutant des couleurs que vous aimez, comment êtes-vous habillé?
- Je suis en survêtement bleu!
- Ah oui ? Et ça le fait bien? (j'éclate de rire et le "chambre" un peu)
- Ah mais Béatrice, j'ai une chemise très chic en dessous!
- Super, Julien! Je vous visualise aussi, et j'avoue que c'est cocasse! Et à présent, comment vous sentez-vous?
- De mieux en mieux. Je parle avec plus d'aisance et je bouge à nouveau mes bras. Mes interlocuteurs qui étaient très graves en me regardant, ont retrouvé le sourire. Ils sont heureux d'être là...
- Et de quoi auriez-vous besoin encore dans cette scène pour vous apaiser toujours davantage?
- De grandes baies vitrées avec le soleil qui entre à l'intérieur, et une vue sur de la verdure, plein de verdure.
- Ok le soleil entre à présent, et je vous invite à regarder au loin...Il y a des chênes, une belle chêneraie qui s'offre à votre vue, et à chaque fois que vous la visualisez, une force tranquille remonte en vous comme une sève régénérante.
- Je me sens de plus en apaisé. Cependant, il y a encore une chose qui me dérange. Il y a deux personnes sur les côtés qui sont trop proches de moi, cela m'oppresse encore un petit peu.
- Qu'est-ce que vous voulez faire?
- Je vais les déplacer un peu plus loin de moi. Voilà, je respire mieux...
~~~~
Au fil des séances, une belle relation de confiance s'installe entre nous. Mon plaisir de cheminer à ses côtés résonne avec son propre plaisir d'avancer vers l'homme qu'il est, celui qu'il a nié et tronqué de toute une belle part de légèreté, d'insouciance et de créativité. Son angoisse se calme peu à peu, et laisse la place à un trac qu'il sait gérer à présent avec des respirations abdominales, de la visualisation, des ancrages et des séances d'hypnose que nous alternons avec les séances de coaching.
Julien se livre de plus en plus et finit souvent ses séances par des anecdotes qui illustrent les moments éclairants de sa vie. Je souris à cette évocation, car elles sont devenues le point d'ancrage de nos séances.
Il me parle aussi de sa fonction, des lourdes responsabilités qu'il a toujours endossées, comme d'un capitaine fidèle à son navire. Il identifie peu à peu des conflits de valeurs qui le tiraillent. Le sentiment qu'il s'est oublié dans cette quête de perfection, de sauveur du monde et de héros.
Sa sensibilité est à fleur de peau. Lors d'un premier face à face, elle gagne encore du terrain et sa carapace commence à craqueler...Les larmes brillent dans ses yeux et sa voix se casse. Il est gêné. Je lui lance :
- Serait-ce un aveu de vulnérabilité, Julien, qui vous dérange tant?
- Oui, je le crois, j'ai peur de perdre la face devant les autres.
- Et face à vous-même?
- Non, pas face à moi, seulement ce rôle que je joue devant les autres.
- Qu'est-ce qui vous pousse à vouloir sauver le monde? Seriez-vous un héros?
- Oui il y a un peu de ça !
- Vous seriez donc tout puissant?
~~~~
J'invite Julien à se connecter à son stress, à l'apprivoiser, à lui donner un nom, à décoder ce message qui se cache derrière cette peur. Je lui propose de l'incarner au travers d'un objet familier, qu'il pourrait toucher et contacter à tout moment de la journée. Bien que réticent au début, il accepte et fait un pas supplémentaire au coeur de lui-même, laissant un peu plus libre cours à toutes ses émotions. Il l'appelle PASI : Phénomène Angoisse Spontanée Incontrôlée. Il a retrouvé un petit cube en métal qu'il a fabriqué lui-même au lycée et me l'apporte, le sourire aux lèvres, confiant...
Nous revenons sur l'usurpateur qui a claqué à la clôture de la première séance.
- Qu'est-ce que cela dit de vous?
- Je suis passé à côté de quelque chose, je me voyais comme dans un miroir et je me disais que tout allait bien. Aujourd'hui, mon travail n'est plus la chose la plus importante, bien que j'adore ce que je fais. Je cloisonnais ma vie et je passais à côté des choses . Je m'aperçois que j'ai trop sacrifié ma vie de famille et amicale. Je ressens une véritable cassure.
~~~~
Un autre face à face, et cette fois-ci, les larmes de Julien coulent le long de ses joues. Il me lance:
- Il n'y a qu'avec vous Béatrice que je pleure !
- Pleurez Julien ! Vous êtes en train de vous retrouver et d'aller à la rencontre de vous-même. C'est émouvant en effet...
Je vais lui chercher un mouchoir, tout en le laissant apprivoiser ses larmes, symbole de sa vulnérabilité et compagne de sa véritable Puissance.
~~~~