Les
obstacles au bonheur
(suite
de la 1ère partie)
L'angoisse de la perte: Ce qui est rassurant avec le malheur, c'est qu'une fois installé, le bougre vous colle à la peau telle une sangsue. Pas besoin de faire un effort pour le garder bien à soi, il jouit d'une permanence quasi totale. A contrario, le bonheur se forge à l'huile de coude et peut paraitre volatile et fragile à bien des égards. La vie, avec ses hauts et ses bas, nous bouscule et peut nous reprendre brutalement ce que nous avions construit aussi sûrement qu'un raz de marée l'aurait fait. Certains même ont des stratégies pour faire échouer le bonheur, de peur de le perdre. Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve écrivait Gainsbourg. Peut-on se fuir indéfiniment et espérer un bonheur à venir ? Si l'évitement, mais aussi le renoncement, voire le sabotage sont de bonnes solutions à un moment donné comme réponse à l'angoisse et à la peur, elles ne peuvent pas permettre à un individu d'évoluer et de grandir.
Eclairage : Ouvrir d'autres fenêtres sur le monde et apprendre à oser écouter son instinct, son envie et ses besoins. Pour cela quoi de mieux qu'une métaphore? J'ai choisi celle-ci de Consuelo C.Casula tirée de son ouvrage: Jardiniers, princesses et hérissons.
Huile
de coude 3)
Laissez-vous
juste porter par cette histoire.
L'île
des mouettes Il
était une fois, au milieu de la mer, une île peuplée de mouettes,
de
lézards et de figuiers de barbarie. Un jour, l'une de ces mouettes
a envie d'aller visiter d'autres îles. Lorsqu'elle communique ce
désir à ses amis, on la regarde d'un air surpris: personne n'a
jamais quitté l'île, par conséquent elle ne peut pas la quitter
non plus. "Et pourquoi pas?" demande la jeune mouette,
curieuse et perplexe. "Parce que c'est la tradition. Personne
n'a jamais quitté l'île. Il est inutile de discuter, on a toujours
fait comme ça, c'est la règle. c'est une règle qui sert à
protéger les mouettes qui, comme toi, ont l'illusion de penser
qu'on peut trouver Dieu sait quoi ailleurs. De toute manière,
toutes les îles se ressemblent."
La mouette dit simplement qu'elle est poussée par le désir de connaître d'autres îles, d'autres traditions, d'autres cultures. Et les autres répètent que tout ce qu'elle a besoin de connaître, elle l'a à disposition dans l'île, qu'il n'y a rien de nouveau ailleurs. Que dans les autres îles, on trouve la même chose que dans celle-ci.
La jeune mouette a des doutes, mais elle ne sait pas si elle doit se plier à la tradition à laquelle elle appartient, lui obéir et la respecter, ou suivre son instinct qui lui dit de partir explorer de nouvelles îles.
Un jour, alors qu'elle médite sur ce qu'il faut faire, elle voit une mouette qui se repose sur la plage. Elle reconnaît immédiatement qu'il s'agit d'une étrangère. Elle s'approche pour lui demander d'où elle vient. L'étrangère lui raconte qu'elle a fait un long voyage et qu'elle vient d'une île très lointaine, pleine de palmiers et d'iguanes.
"Alors, va visiter mon île, propose la mouette étrangère. Cela en vaut la peine, car on y trouve des centaines de sortes de palmiers, et chacune a des caractéristiques différentes." La mouette se rappelle que la tradition de son île interdit à ses habitants de partir. L'étrangère commente: "Je savais qu'il y avait une île dans laquelle les mouettes avaient l'interdiction de se déplacer. Tous la décrivent comme une île aride, sèche, avec des mouettes tristes, qui volent bas."
La jeune mouette est frappée par cette description de son île. Elle regarde autour d'elle et voit des rochers, quelques figuiers de barbarie et quelques lézards paresseux. "Mais les autres îles ne sont-elles donc pas comme celle-ci ?" demande t-elle à la mouette étrangère. "Oh non, affirme cette dernière, chaque île est différente. Il y a des îles parfumées de lentisques, d'autres de pins, d'autres de jasmin, d'autres de citronniers. Certaines îles sont habitées de silencieux crocodiles, d'autres par de bruyantes cigales. Chaque île est différente, et chaque île a ses caractéristiques qui la rendent incomparable. Telle île est reconnaissable à son parfum, telle autre à ses couleurs, telle autre à ses sons. Chacune a sa beauté et son caractère unique."
"Sont-elles dangereuses, pleines de pièges, d'animaux féroces?" demande la jeune mouette avec une curiosité insistante. "Ah oui, dit l'étrangère en clignant de l'oeil, tu peux bien-sûr rencontrer certains dangers, mais tu apprends aussi à les surmonter. Tu apprends à reconnaître les animaux vraiment dangereux de ceux qui semblent tels pour se défendre, à distinguer les courants qui transportent de bons poissons de ceux qui n'entraînent que des sacs en plastique. Tout est expérience, tout peut s'apprendre à améliorer ta capacité à observer les courants de la mer, les signaux faibles qui te permettent de prévoir une tempête, un animal qui cherche à obtenir ta confiance pour ensuite te faire du mal. Toutes ces expériences t'aident non seulement à grandir, elles t'aident aussi à voler plus haut."
La
souffrance sublimée comme source d'inspiration:
Serge Gainsbourg va bien plus loin encore dans cette interview
filmée ci dessous: Il fait référence à sa "schizophrénie",
la désignant comme la muse de son inspiration: "J'ai perdu la
notion du bonheur. Heureux? Et n'ayant plus rien à dire?".
Si
ce mode de fonctionnement est génial, car répondant à un
dysfonctionnement originel et permettant de sublimer ses
talents, il a ses propres limites.
Non seulement le bonheur est fragile et fait peur, mais encore il est snobé pour cause d'incompatibilité avec l'inspiration créatrice. Il est vrai que le bonheur n'a pas toujours très bonne réputation chez les artistes. Que serait Baudelaire sans son spleen, pour ne parler que de la poésie et des poètes maudits? La souffrance, à priori, cristallise davantage d'émotions. Emotions négatives, certes, mais bien plus inspirantes et créatives. La plainte a justement pour fonction de s'épancher et d'attirer la sympathie, sinon l'empathie. Bonheur et quête d'amour seraient-ils incompatibles? Les gens heureux sont ennuyeux, sans histoire, sans drame et sans passion dit aussi le dicton populaire. Personnellement, je ne suis pas convaincue qu'il faille se priver du bonheur pour trouver l'inspiration, d'autant que la tourmente finit toujours par l'emporter et par consumer la personne, enfermée et prise à son propre piège. Fonctionner toujours de la même façon prive peu à peu la personne d'une adaptation au monde qui l'entoure et renforce, dans le cas énoncé, la croyance que l'inspiration ne peut cohabiter qu'avec la tourmente et le malheur.
(Suite à venir: les atouts du bonheur)
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