Tout le monde en a fait l'expérience, il est plus aisé d'être malheureux qu'heureux. "Be Happy" est une injonction malhonnête et mensongère, un gros mot, n'ayons pas peur des maux. Il suffit d'écouter les médias chaque jour, catastrophes naturelles, tragédies, crimes, dangers en tous genres sans oublier le mauvais temps, les chutes de pierres et la rentrée scolaire...Dans cet état d'esprit, oublier le malheur semble bien arrogant et provocateur. Vautrons-nous dans la boue et la vase de nos mauvais souvenirs, de nos peurs et de nos plaintes. Léchons nos plaies pour les garder béantes. Que diantre restons vivants! Soyons malheureux! D'ailleurs essayez de trouver une définition commune et positive du bonheur? En parcourant des citations sur le bonheur, quelques-unes m'ont sauté aux yeux, tant elles sont stériles et empreintes de désespérance.
"Le bonheur, c'est la somme de tous les malheurs qu'on n'a pas." Marcel Achard
"Si l'on bâtissait la maison du bonheur, la plus grande pièce serait la salle d'attente." Jules Renard
"Il y a deux sortes de gens: ceux qui peuvent être heureux et ne le sont pas, et ceux qui cherchent le bonheur sans le trouver." Proverbe
En effet, il faudrait être fou pour croire au bonheur...A contrario, parlez de malheur, et c'est un concert d'éloges réciproques, une résonance universelle dans laquelle se déversent les instincts les plus bas et les souffrances les plus tenaces.
"Le malheur ne peut se consoler qu'avec le malheur des autres." Henry de Montherlant
"Tout le malheur des hommes vient de l'espérance." Albert Camus
"C'est dans le malheur qu'on reconnaît les amis." Euripide
"Le bonheur n'a presque qu'une seule utilité, rendre le malheur possible." Marcel Proust
Quand je vous dis qu'il y a un malin plaisir à se vautrer dedans....Alors si vous êtes convaincus de la pertinence de mes propos, voici pour vous une initiation avec les premiers pas pour faire vous-même votre malheur. Ne vous gaussez pas, certains n'ont pas assez d'une vie pour cet apprentissage, d'autant que la littérature en la matière est plutôt frileuse.
S'occuper des autres avant de s'occuper de soi. Vouloir faire plaisir aux autres en s'oubliant est un excellent moyen pour apprendre à ne pas prendre soin de soi, de ses besoins et de son bien-être. Ce qui pousse forcément à vouloir sauver les autres, et à développer immanquablement le sens d'un certain sacrifice. Le sacrifice est un bon argument pour aller reprocher à l'autre, celui qui ne demandait rien de surcroît, son ingratitude: "Comment, avec tout ce que j'ai fait pour toi?" D'un coup de baguette magique, d'un seul, le sauveur est devenu persécuteur, puis victime. Vous pouvez entr'apercevoir déjà ce jeu très répandu et séduisant du célèbre Triangle de Karpman, indispensable à tout malheur. D'autre part, il est plus facile de voir la paille dans l'oeil du voisin que...Vous connaissez la suite.
Vouloir ce que vous n'avez pas. En effet, l'herbe est toujours plus verte chez le voisin. C'est un très bon dopant de la frustration, aliment clé du malheur, que de croire au fantasme: "Le bonheur est chez les autres." C'est un mode de pensée et de comportement excessivement efficace pour nourrir l'insatisfaction chronique et la fameuse quête du Graal. Le Graal n'existe pas, mais courir après cette chimère est excitant et chasse l'ennui de sa propre vie. C'est un leurre qui permet de ne pas trouver son propre chemin, mais cependant l'illusion d'avancer fait tenir bon. Cours après moi que je t'attrape!
Faire encore plus de la même chose. La situation paraît désespérée, mais vous n'en êtes pas totalement sûr. C'est pourquoi vous allez répéter, répéter, répéter ( ) toujours les mêmes comportements, avec en toile de fond, les mêmes pensées parasites et toxiques jusqu'à vérifier que le problème est bien sans solution. Ainsi vous êtes persuadés(e) à présent que la situation est vraiment désespérée. Enfin une certitude! Vous voilà rassuré(e) et en pays de connaissance. Donc, tout va bien, le malheur est à votre porte, et perdre le bonheur que vous n'aurez jamais ne vous fait plus peur.
Saboter tout ce que vous entreprenez. "Je suis nul, j'ai peur de ne pas y arriver" sont les pensées indispensables à tout saboteur qui se respecte. Détrompez-vous, cela n'est pas si simple. Sans une stratégie de l'échec qui réclame une bonne dose de créativité et une pugnacité à toute épreuve, échouer n'est pas à la portée de tout le monde. Il en faut du talent et une conviction de tous les moments sur sa propre incapacité. Et pourtant, sitôt que vous avez échoué, la déception fait place peu à peu à une secrète sensation de soulagement. Finalement, vous avez eu gain de cause car l'idée est de toujours prévoir le pire pour ne pas être déçu par la vie. Vous savez à l'avance ce que la vie vous réserve grâce à cette prophétie auto-réalisatrice: ça ne marchera pas, ça n'est pas possible.
La Liste est encore longue et peu s'en faut, vite rébarbative, mais vous avez dés à présent les clés bien en main pour faire de vous-même votre pire ennemi et vous pourrir la vie, sans oublier que vous rendez celle des autres infernale. La bonne nouvelle c'est que les clés du bonheur, vous les avez déjà dans vos mains. Il suffit juste de les tourner dans le sens opposé.
"La clarté ne naît pas de ce qu'on imagine le clair, mais de ce qu'on prend conscience de l'obscur." Carl Gustav Jung.
Bibliographie: Faites vous-même votre malheur, Paul Watzlawick
Comment réussir à échouer, Paul Watzlawick