Première histoire: Quand Priscilla veut apprendre à vivre pour elle même.
Je décroche mon téléphone, je compose son numéro: c'est l'heure de notre coaching.
J'écoute Priscilla. Elle a 33 ans, cela ne s'invente pas. Elle a une voix de petite fille quelquefois, une jolie voix cristalline je trouve. Parfois elle me fait penser à Valérie Lemercier, tant elle sait si bien détourner sa vie dans un style, sketch délirant. Elle peut pousser la dérision à son paroxysme et me faire hurler de rire!
"Vous avez été écrasée par un bus? Pas de problème! Appelez Béatrice Giraudeau au 06 09 .... ...."
Elle est issue d'une lignée juive dans laquelle la loyauté au clan est
forte, très forte. Ses parents n'y ont pas échappé et se sont mariés
sans amour, par convenance et respect à ce clan juif. Priscilla va en
faire les frais...
Priscilla veut apprendre à vivre pour elle même.
J'ai délibérément gommé l'émotion de Priscilla dans cet échange, pour garder une fluidité dans ce qui se joue là, au niveau des mots, pour ne pas faire écran de fumée à son histoire. Pourtant l'essentiel s'est joué dans ses émotions, j'y reviendrai.
- Je n'ai jamais fait les choses pour moi, je veux apprendre à vivre pour moi.
- Et tu vivais pour qui ?
- Pour ma mère, pour me faire aimer d'elle
- Et elle t'aime?
- Non, j'ai gâché sa vie
- Comment tu t'y es prise?
- Je n'aurais jamais dû naître, ma mère voulait divorcer, ma naissance l'en a empêchée.
Elle a même tenté de se suicider...
- ... (Silence. je dois digérer ses mots. Je décide d'y aller à la provocation)
C'est fou le pouvoir que tu avais sur ta mère, déjà si petite.....
- Oui mais c'est pourtant vrai ! Elle me l'a tellement dit et répété que je l'avais empêché de vivre....
- Et tu l'as crue?
- Quand j'étais petite, oui...Aujourd'hui c'est encore ce que je ressens; ça fait partie de moi.
- J'entends là que ta mère a un fort pouvoir sur toi également. Finalement vous semblez avoir un fort pouvoir l'une sur l'autre, qu'en penses-tu?
- Oui c'est clair.... Et je continue à l'appeler tous les jours pour savoir si elle va bien, pour avoir son approbation. C'est comme si je devais tout le temps avoir sa permission pour vivre...
- Est-ce que tu y vois un avantage à continuer comme ça? A appeler ta mère tous les jours?
- Oui je peux lui demander tous les jours si elle m'aime et tous les jours, elle me dit que oui elle m'aime.
- Est-ce que cela te rassure?
- Non, pas vraiment, c'est plutôt un rituel dont je ne peux plus me passer.
- Aujourd'hui, tu as envie de continuer?
- Non, je veux vraiment vivre pour moi, mais je ne sais pas comment on fait.
- De quoi as-tu besoin pour vivre par toi même?
- ....
- ....
- J'ai besoin de me pardonner, pardonner d'exister, pardonner d'être si nulle!
- Es-tu prête à te pardonner?
- Non, je ne veux pas me pardonner, c'est impossible!
- Qu'est-ce qui t'en empêche?
- Ce que je dois me pardonner est trop lourd.....
Arrêt sur image
A ce moment précis, j'explique à Priscilla que nous ne pouvons pas continuer sur cet objectif tant qu'elle ne veut pas se pardonner, son pardon étant la condition sine qua non pour apprendre à vivre par elle-même. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce pardon, et bien plus vite que nous le pensons.
Je la sens déçue mais sa lucidité est grande quant au travail que nous faisons ensemble; elle comprend que la montagne est trop haute. Nous allons retricoter un nouvel objectif mais quelque chose d'essentiel s'est joué lors de cette séance et Priscilla va me le dire.
Quand les émotions de Priscilla surgissent.
Chaque mot est dit avec une grande facilité; depuis son accident, elle est en rééducation et en thérapie non stop. Elle l'a bien rôdée son histoire la petite "drôlesse"....Ce qui surgit à son insu, ce sont ses larmes à chaque mot qu'elle prononce et cette tristesse qui l'étreint enfin.
Pour moi qui passe du rire aux larmes avec une simplicité désarmante, je ne mesure pas encore ce qu'elle va me dire.
" Tu ne te rends pas compte que c'est la 1ère fois que j'arrive à pleurer ", me dit-elle
" La 1ère fois depuis ton accident? "
" Non! la 1ère fois depuis toujours....Et même en sortant du coma après mon accident, quand les médecins m'ont dit que je ne remarcherai plus, je n'ai rien ressenti. Pas une larme....
Et là depuis tout à l'heure, je n'arrête pas de pleurer, ça me fait mal, mais je me sens enfin vivante.....Je ne sais pas si tu te rends compte? "
" Si si je me rends compte, je me rends bien compte...."